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Le « parler spéculatif » ça vous parle ?

Certains abus de langage trahissent non pas ceux qui les utilisent mais le contexte, l’époque et les valeurs du moment. Il en est ainsi du « parler spéculatif ».
bulle spéculative

La valeur qui s’ajoute versus la valeur d’accroissement

Qui ne s’est pas surpris à déclarer « j’espère que ma contribution aura apporté une plus-value » ou encore « cette nouvelle technique est un vraie plus-value pour notre activité ».
Ne s’agit-il pas plutôt d’une valeur ajoutée en l’occurrence ? Evidemment oui.
Pourtant, cet abus de langage qui consiste à évoquer la valeur d’accroissement au détriment de la valeur d’amélioration, est devenue monnaie courante.
La valeur ajoutée, hormis dans sa définition comptable* ne se quantifie pas, elle se qualifie. La plus-value ou valeur d’accroissement quant à elle, se quantifie systématiquement (en unités de valeur, en monnaie, en points, en bonis d’actions).
A préférer (trop) systématiquement la désignation d’une amélioration par son expression quantifiée (la plus-value) au détriment de son expression qualifiante (la valeur ajoutée), nous tombons dans le « parler spéculatif ».

La financiarisation du langage

Sans faire dans la névrose, il est permis de penser que la financiarisation de l’économie se traduit in fine dans une expression linguistique empruntant au monde des finances ses codes et son jargon.
La plus-value est bien dans ce registre boursier et financier. Et son usage en forme de lapsus, y compris pour désigner un ajout de valeur qui n’est ni quantifiable, ni évaluable en unités de compte, mais désigne un apport qualitatif, est un signe manifeste.
Jusque là seuls les tenants de la sémantique trouveront à redire.
Mais prenons un autre exemple du « parler spéculatif » : qui aujourd’hui s’émeut en entendant parler de « bulle spéculative ? ».

Dans un monde de bulles … les valeurs explosent

C’est presque un sens commun. Nous avons connu la bulle immobilière et ses fâcheuses conséquences, le monde de la finance a connu les dettes souveraines d’état (la bulle hellénique par exemple), certains économistes parlent de « bulle verte » pour désigner les spéculations autour du développement durable et de la « croissance verte ».
Nous pourrions y ajouter la « bulle du ballon rond » tant les valeurs marchandes des joueurs professionnels suivent une courbe de valorisation à progression vertigineuse.
Invariablement toutes ces bulles se nourrissent de spéculations qui font (ou feront) exploser les valeurs cotées (le m2 immobilier, l’Etat endetté, l’économie durable, le footballeur professionnel) et, au final … éclater la bulle toute entière.
Les retombées dans ce cas-là atterrissent dans un monde bien réel, le nôtre.
Le linguiste aura noté au passage que l’expression « économie réelle » est apparue au détour des crises financières de 2008 et 2011.
De manière implicite, et en creux, cette expression donne à penser qu’il existe donc bel et bien une économie virtuelle (spéculative sans nul doute).

Parler « spéculatif » n’est-il pas une manière de légitimer et de nourrir cette économie virtuelle ?
Chacun se situera selon ses convictions.

Pierre Fullenwarth – Rédacteur, contributeur Elaee

*Au sens comptable, la valeur ajoutée est définie comme la différence entre la valeur finale de la production (valorisée par le chiffre d’affaires) et la valeur des biens qui ont été consommés par le processus de production (consommations intermédiaires, comme les matières premières).

2 commentaires sur “Le « parler spéculatif » ça vous parle ?”

Caroline Dumanier dit :

ça fait du bien de lire des amoureux des mots. La richesse de la langue française est à l’honneur sur ce mag et le coup de gueule tout à fait légitime. Bravo

[…] » « Méga », « trop bien », « canon » marquent notre appartenance à une génération. Le « parler spéculatif » est un autre […]

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