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L’art de la guerre… digitale

Caroline Faillet, cofondatrice de Bolero, cabinet d’étude et de veille sur l’influence de l’internet sur le comportement du public, publie l’ouvrage « L’art de la guerre digitale. survivre et dominer à l’ère du numérique », préfacé par Joël de Rosnay, pour vous donner de nombreuses clefs sur son métier.

Caroline est une professionnelle respectée, « netnologue », parmi les 1res entrepreneuses du web, sociologue enseignant sa spécialité à HEC, elle conseille aujourd’hui les entreprises sur leur stratégie digitale.
À la manière de L’Art de la guerre de Sun Tzu, elle exhorte les entreprises à renoncer à l’attaque frontale et propose des stratégies de disruption et d’influence pour renforcer leurs positions et gagner en performance.

Voici quelques questions-réponses, suivant la trame du livre qu’elle vient juste de publier :

Chapitre 1 : la guerre est déclarée

Caroline, pourquoi utiliser la notion de guerre ?

Parce qu’il y a un changement des équilibres de pouvoir grâce à l’arme digitale. Le digital a fourni des armes d’autant plus redoutables qu’elles sont accessibles à tous. En 3 révolutions numériques, le citoyen-consommateur a progressivement pris le pouvoir au détriment des autorités scientifiques, médiatiques, politiques et économiques. Face à ce déséquilibre de l’ordre établi, la réaction naturelle de nombre d’organisations est de résister. En luttant, ces organisations entrent dans une guerre longue, mondiale, invisible face à un ennemi aux mille visages : c’est la guerre digitale.

Le terme de guerre n’est-il pas trop fort ?

C’est la guerre au sens moderne[1] du terme : la guerre subversive, la guerre révolutionnaire, la guérilla. Par exemple, la guerre des djihadistes n’a pas grand-chose à voir avec la guerre des nations du siècle dernier. Toutes proportions gardées, la guerre digitale est aussi fragmentée et difficile à maîtriser et n’est plus la guerre de l’information de l’ancien monde.

000000051516Dans ce premier chapitre, vous évoquez les différentes révolutions numériques, quelles sont-elles?

Cette conquête de pouvoir du citoyen-consommateur est totalement corrélée à  l’histoire du Web. La première révolution, dite du Web 1.0, a apporté les sites internet et les moteurs de recherche. L’internaute découvre le pouvoir de s’informer et ainsi de démasquer les tentatives de mensonge. Mais il ne peut encore les dénoncer.

Avec le Web 2.0 arrivent les média sociaux et les réseaux sociaux. L’individu découvre le pouvoir de s’exprimer, de se transformer lui-même en média et d’organiser son réseau donc de se mobiliser. Il retrouve une certaine liberté et l’esprit de revanche qui va avec. Sûr de son pouvoir, il s’adonne à ses jeux sociaux préférés : bad buzz, fuite d’information, rumeur, mobilisation, bashing…

La troisième révolution est celle des données. L’utilisation des données, dites big data, permet des services inédits qui facilitent la vie de l’internaute et font de lui un consommateur augmenté du pouvoir d’être un guide touristique avec Tripadvisor, un loueur d’appartement avec Airbnb , un chauffeur de taxi avec uber, un financeur de start-up avec le crowd-founding… Ce consommateur récupère une partie de la chaîne de valeurs de nombre de filières et accélère le risque d’ubérisation des modèles économiques. Si le web 2.0 a flatté l’égo des internautes en offrant des outils au service du narcissisme des utilisateurs, on peut dire que le web 3.0 consacre la toute-puissance du Moi. Le cyberespace qui se façonne autour de l’internaute devient un miroir de ses goûts, de ses besoins et de ses relations.

Web 1 consommateur informé, web 2 consommateur mobilisé, web 3 consommateur augmenté, si le citoyen-consommateur n’est pas toujours un super-héros, il a en tout cas des super-pouvoirs !

 

Couv_CF-2-009f2Chapitre 2 : L’art de la guerre économique

Quels sont les changements économiques liés aux différentes révolutions numériques ?

L’entreprise ne doit plus seulement affronter ses concurrents historiques. Sur le web, elle doit défendre ses positions face à 3 risques d’extermination : désintermédiation, dématérialisation et ubérisation.

Et aujourd’hui la machine à générer des victimes paraît s’emballer. Au-delà des victimes structurelles du Net liées à une exposition particulière au risque de désintermédiation ou de dématérialisation, aucune filière ne semble épargnée et chaque nouveau secteur touché ajoute du désordre au chaos. Contrairement à une simple innovation concurrentielle, on a en effet affaire à des phénomènes violents, dévastant des filières entières en moins de 10 ans avec un effet de surprise où les victimes découvrent trop tard, quand ils n’en ont plus les moyens, les lourds investissements qu’ils auraient dû mener pour s’adapter.

On parle d’ubérisation pour qualifier cette piraterie des temps modernes qui consiste à piller un modèle économique.

Quel est le secret de ces pirates ?

Le secret des nouveaux barbares pour conquérir des business-models, c’est d’avoir parfaitement cerné ce qu’était devenu le consommateur après 3 révolutions numériques et même, de savoir accompagner sa prise de pouvoir. Des acteurs de l’économie collaborative aux nouveaux barbares disrupteurs de business-model, tous ont bien compris qu’il fallait se mettre en orbite autour du Moi de ce consommateur qui se construit un monde qui lui ressemble.

Ils occupent le terrain de l’information, ils coopèrent avec les communautés, ils personnalisent leur service par la donnée. Prenez un Amazon qui fut et qui reste, un barbare : il est incontournable dans toutes nos recherches, il propose à l’internaute de devenir critique littéraire avec les avis et il utilise les data pour nous conseiller des livres de façon personnalisée. Amazon a mis le consommateur augmenté au cœur de son modèle !

 

Chapitre 3 : l’art de la guerre idéologique

Quelles conséquences de la prise de pouvoir du citoyen ?

La prise de pouvoir du citoyen a fait de la réputation de l’entreprise son actif le plus vulnérable. Le risque de crise d’image fait plier les organisations bien plus vite et plus fortement qu’une décision de justice. La fuite d’une information auprès d’une communauté ciblée, sa propagation rapide dans les réseaux sociaux, sa reprise dans les média, son officialisation sur Wikipédia… Le parcours du bad buzz est aujourd’hui bien balisé.

Il est sûr que cette vigie est rassurante pour tous les citoyens que nous sommes. Tout un chacun aspire à ce que des scandales comme celui de l’amiante ou du sang contaminé ne soient pas étouffés par des conflits d’intérêts mais révélés au grand jour le plus vite possible afin que toute victime supplémentaire soit évitée.

Cette arme du bad buzz est-elle toujours utilisée à bon escient par le citoyen ? 

Le problème est que cette arme est aujourd’hui totalement maîtrisée par les partisans de la guerre idéologique, c’est-à-dire ceux qui veulent contrôler l’action de l’entreprise au nom de certaines idéologies. Dogmatiques, activistes, partisans de thèses extrémistes ou fantaisistes organisent la désinformation et utilisent l’opinion publique pour exercer leur pression. La légitimité de l’entreprise est contestée, comme si celle-ci devait désormais obtenir au-delà des autorisations légales, une autorisation citoyenne, « un permis social d’exercer ».

Cette arme présente donc aussi le risque d’une forme de justice populaire dictée par l’émotion où les moyens pour endiguer l’installation d’une rumeur sont complexes et doivent être mis en place rapidement.

 

Chapitre 4 : qui veut la paix évite la guerre

Comment les entreprises ont-elles réagi à leur perte de pouvoir ?

A chaque phase de la révolution numérique, les organisations ont tenté de s’adapter mais leur acculturation a été partielle, non pas faute d’avoir pris les virages technologiques qui s’imposaient mais faute d’avoir compris comment le consommateur était modifié par ces technologies.

La réaction des entreprises face à ces conquêtes est donc souvent la résistance et la démonstration de force. On affiche son pouvoir juridique, on cherche à contrôler sa réputation, on impressionne ses concurrents par de grandes déclarations sur le digital et de l’achat de fans sur Facebook. Les populations (salariés et actionnaires) sont rassurées et les concurrents dissuadés d’attaquer tout en usant de la même tactique.

Mais ce sont des lignes Maginot qui maintiennent l’entreprise dans une illusion de puissance.

Comment devraient-elles réagir alors ?

Il est temps de réveiller le sens tactique des dirigeants pour créer l’urgence dans les entreprises et faire sonner la mobilisation générale. Mais loin de moi l’idée de les inciter à guerroyer. Je les inviterai à appliquer les principes de Sun Tzu qui préfère la ruse à la force, l’espionnage et les alliances à la guerre frontale. L’art de la guerre digitale, c’est l’art de bien connaître son environnement web, de déployer et concentrer ses forces au bon endroit, de favoriser la prospérité des communautés, de créer l’union nationale et de rester en alerte sur ses rivaux et ses peuples hostiles avec la veille. C’est donc avant tout une stratégie pour éviter des combats inutiles et favoriser la construction d’une paix durable.

Mais je vous invite à lire l’ouvrage pour connaître les méthodes en détail !

 

Caroline, pourquoi avoir écrit ce livre ?

Je suis depuis 15 ans une observatrice neutre de ces jeux de pouvoir, je les décode pour mes clients et j’ai fait de la « netnologie » mon domaine d’expertise.

En théorie, ces armes sont à la disposition de tous mais elles sont en réalité bien mieux maîtrisées par une minorité de dogmatiques ou les GAFA. Comme l’a dit Xavier delaporte, c’est un pharmakon. C’est-à-dire que c’est à la fois le remède et le poison, une arme pour détruire, un outil pour construire.

Mon ambition avec ce livre est que ces techniques soient connues du plus grand nombre pour que le remède soit supérieur au poison, pour un progrès partagé.

« L’art de la guerre digitale », éditions Dunod, mai 2016.

 

[1] Roger Trinquier 1908-1986, officier français ayant participé à la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie et auteur de La Guerre moderne

4 commentaires sur “L’art de la guerre… digitale”

Manuel T. dit :

Un point de vue intéressant. J’ai déjà entendu mme Faillet en conférence et j’ai effectivement appris des choses

Ophélie R dit :

Un point de vue sociologique extrêmement intéressant que je partage. Je fais face chaque jour à la désinformation qui a des conséquences graves. Il est temps que les choses bougent !

Sarro dit :

Dans la disruption comment ne pas devenir fou ?
(Bernard Stiegler)

vincent dit :

Le problème est de vouloir appliquer le génie de Sun Tzu à tout et n’importe quoi tout en oubliant la part sombre de ce maitre de la stratégie.
Le web 2.0 a été basé sur la transparence, le partage, la puissance des foules… Sun Tzu c’est tout le contraire une vision très hiérarchique du commandement basé sur la manipulation, la tromperie, l’effroi afin de vaincre et dominer avec le moins de pertes possible.
On oublie trop souvent cet aspect en étant séduit par la pensée orientale mais Sun Tzu est bien loin de Lao Tseu et Bruce lee pour les plus cinéphile « Be Water my friend » 🙂

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